Le cinéma suisse est une industrie particulière : nombreux sont ceux qui prétendent qu’il est inexistant ou que ses productions sont ennuyantes et réalisées sans moyens. Pourtant, régulièrement, de vrais succès critiques et populaires voient le jour, et Ciao-ciao Bourbine, sortie le 30 novembre 2023 en Suisse allemande et au Tessin, puis le 17 janvier 2024 en Suisse romande, en fait indubitablement partie. Le 4 mars, le film avait déjà dépassé le cap des 339’000 entrées en salle (dont 65’000 pour la seule Suisse romande). Il entrait même dans le top-10 des plus grands du succès du cinéma national, surpassant le score obtenu par Les Enfants du Platzspitz (Pierre Monnard, 2020). Cela montre bien qu’autant dans le domaine de la comédie que du drame, le cinéma suisse parvient à produire des succès populaires. Pour rendre à César ce qui appartient à César, aucun film suisse n’a réussi à reproduire l’exploit des Faiseurs de Suisses (Rolf Lyssy, 1978), qui, dans un pays qui comportait alors 6,5 millions d’habitants, avait réussi à réunir plus de 940’000 spectateurs dans les salles obscures.
Ciao-ciao Bourbine est une comédie qui place son action dans une Suisse qui a décidé d’approuver une initiative populaire imposant l’usage d’une langue unique dans le pays : le français. Pour Walter Egli (Beat Schlatter), policier fédéral suisse allemand qui avait voté positivement en étant persuadé que sa langue l’emporterait, la douche est glaciale. Il se retrouve alors chargé d’une mission périlleuse : réussir à infiltrer les rangs d’un groupe révolutionnaire qui veut faire du Tessin une république indépendante à la suite de l’interdiction de parler italien en Suisse.
« L’esprit suisse » est difficile à qualifier au vu de la diversité linguistique, religieuse et culturelle du pays. Quels sont les liens qui unifient les différents cantons ? Ciao-ciao Bourbine réussit à cerner cet « esprit ». L’utilisation des trois grandes langues nationales, chaque personnage peinant à se faire comprendre par l’autre, joue dans le propos du film et sur l’absurdité d’imposer une seule langue à la Suisse. Les différents titres du film jouent eux-mêmes avec cet esprit de rivalité entre les régions. Si en français il s’appelle Ciao-ciao Bourbine, en allemand il est traduit par Bon Schuur Ticino, donnant l’impression que les deux titres se répondent.
L’humour repose majoritairement sur la complicité du trio de personnages principaux, chacun représentant l’une des régions linguistiques suisses. Beat Schlatter en policier suisse allemand, Vincent Kucholl en espion romand et Catherine Pagani en révolutionnaire tessinoise sont tous trois fantastiques dans leurs rôles respectifs, et leur alchimie crève l’écran. Vincent Kucholl marque les esprits avec son espion amateur de déguisements qui se montre particulièrement savoureux. Le film n’a pas honte de pousser son humour, et vire régulièrement dans l’absurde. Même les personnages secondaires n’ayant pas la moindre ligne de dialogue parviennent à être frappants, avec par exemple la mère de Walter Egli, qui engage des révolutionnaires tchétchènes pour lutter contre l’imposition du français. Toutes les scènes les réunissant sont hilarantes, tout en sachant rester brèves.
Il ne faut cependant pas attendre de grand message profond de ce film qui est avant tout une comédie burlesque. Certaines décisions, comme imputer le résultat de la votation à la fraude d’une seule personne, sont compréhensibles : elles permettent de régler rapidement la situation et de retourner à la fin du film à un statu quo, mais cela reste une facilité d’écriture dommageable. Ce serait cependant démesuré que d’affirmer que le film ne raconte rien, il est tout de même ancré dans une actualité politique. La victoire initiale du français comme langue unique due à un prétendu absentéisme massif des Suisses allemands est un clin d’œil clair à l’absentéisme croissant lors des votations suisses. C’est aussi un avertissement sur les conséquences qu’un tel désintéressement de la politique peut engendrer. La seconde partie, dévoilant la supercherie des résultats, peut quant à elle être interprétée comme un avertissement à l’encontre des démagogues qui peuvent influencer le cours d’une démocratie, et un rappel qu’il faut toujours faire attention à ceux qui parlent en public. Malgré une chute un peu facile et brutale, ces messages se montrent suffisamment subtils pour ne pas phagocyter l’œuvre.
Ciao-ciao Bourbine est un succès populaire réjouissant pour le cinéma suisse, continuant de montrer la diversité des productions du pays. Réunissant la Suisse entière autour d’un bon fou-rire, ce long-métrage semble rejoindre la liste des productions suisses qui ont marqué. Refusant de trop se prendre au sérieux et n’hésitant pas à virer dans l’humour absurde, Ciao-ciao Bourbine est un film qui rappelle au spectateur que, finalement, c’est peut-être bien dans sa diversité que la Suisse tire sa richesse.
Ludovic Solioz, 26 ans