CIAO CIAO BOURBINE, de Peter Luisi – La richesse de nos langues

Le cinéma suisse est une industrie particulière : nombreux sont ceux qui prétendent qu’il est inexistant ou que ses productions sont ennuyantes et réalisées sans moyens. Pourtant, régulièrement, de vrais succès critiques et populaires voient le jour, et Ciao-ciao Bourbine, sortie le 30 novembre 2023 en Suisse allemande et au Tessin, puis le 17 janvier 2024 en Suisse romande, en fait indubitablement partie. Le 4 mars, le film avait déjà dépassé le cap des 339’000 entrées en salle (dont 65’000 pour la seule Suisse romande). Il entrait même dans le top-10 des plus grands du succès du cinéma national, surpassant le score obtenu par Les Enfants du Platzspitz (Pierre Monnard, 2020). Cela montre bien qu’autant dans le domaine de la comédie que du drame, le cinéma suisse parvient à produire des succès populaires. Pour rendre à César ce qui appartient à César, aucun film suisse n’a réussi à reproduire l’exploit des Faiseurs de Suisses (Rolf Lyssy, 1978), qui, dans un pays qui comportait alors 6,5 millions d’habitants, avait réussi à réunir plus de 940’000 spectateurs dans les salles obscures.

Ciao-ciao Bourbine est une comédie qui place son action dans une Suisse qui a décidé d’approuver une initiative populaire imposant l’usage d’une langue unique dans le pays : le français. Pour Walter Egli (Beat Schlatter), policier fédéral suisse allemand qui avait voté positivement en étant persuadé que sa langue l’emporterait, la douche est glaciale. Il se retrouve alors chargé d’une mission périlleuse : réussir à infiltrer les rangs d’un groupe révolutionnaire qui veut faire du Tessin une république indépendante à la suite de l’interdiction de parler italien en Suisse.

« L’esprit suisse » est difficile à qualifier au vu de la diversité linguistique, religieuse et culturelle du pays. Quels sont les liens qui unifient les différents cantons ? Ciao-ciao Bourbine réussit à cerner cet « esprit ». L’utilisation des trois grandes langues nationales, chaque personnage peinant à se faire comprendre par l’autre, joue dans le propos du film et sur l’absurdité d’imposer une seule langue à la Suisse. Les différents titres du film jouent eux-mêmes avec cet esprit de rivalité entre les régions. Si en français il s’appelle Ciao-ciao Bourbine, en allemand il est traduit par Bon Schuur Ticino, donnant l’impression que les deux titres se répondent.

L’humour repose majoritairement sur la complicité du trio de personnages principaux, chacun représentant l’une des régions linguistiques suisses. Beat Schlatter en policier suisse allemand, Vincent Kucholl en espion romand et Catherine Pagani en révolutionnaire tessinoise sont tous trois fantastiques dans leurs rôles respectifs, et leur alchimie crève l’écran. Vincent Kucholl marque les esprits avec son espion amateur de déguisements qui se montre particulièrement savoureux. Le film n’a pas honte de pousser son humour, et vire régulièrement dans l’absurde. Même les personnages secondaires n’ayant pas la moindre ligne de dialogue parviennent à être frappants, avec par exemple la mère de Walter Egli, qui engage des révolutionnaires tchétchènes pour lutter contre l’imposition du français. Toutes les scènes les réunissant sont hilarantes, tout en sachant rester brèves.

Il ne faut cependant pas attendre de grand message profond de ce film qui est avant tout une comédie burlesque. Certaines décisions, comme imputer le résultat de la votation à la fraude d’une seule personne, sont compréhensibles : elles permettent de régler rapidement la situation et de retourner à la fin du film à un statu quo, mais cela reste une facilité d’écriture dommageable. Ce serait cependant démesuré que d’affirmer que le film ne raconte rien, il est tout de même ancré dans une actualité politique. La victoire initiale du français comme langue unique due à un prétendu absentéisme massif des Suisses allemands est un clin d’œil clair à l’absentéisme croissant lors des votations suisses. C’est aussi un avertissement sur les conséquences qu’un tel désintéressement de la politique peut engendrer. La seconde partie, dévoilant la supercherie des résultats, peut quant à elle être interprétée comme un avertissement à l’encontre des démagogues qui peuvent influencer le cours d’une démocratie, et un rappel qu’il faut toujours faire attention à ceux qui parlent en public. Malgré une chute un peu facile et brutale, ces messages se montrent suffisamment subtils pour ne pas phagocyter l’œuvre.

Ciao-ciao Bourbine est un succès populaire réjouissant pour le cinéma suisse, continuant de montrer la diversité des productions du pays. Réunissant la Suisse entière autour d’un bon fou-rire, ce long-métrage semble rejoindre la liste des productions suisses qui ont marqué. Refusant de trop se prendre au sérieux et n’hésitant pas à virer dans l’humour absurde, Ciao-ciao Bourbine est un film qui rappelle au spectateur que, finalement, c’est peut-être bien dans sa diversité que la Suisse tire sa richesse.

Ludovic Solioz, 26 ans

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RIVIERE de Hugues Hariche – La vie n’a rien d’un long fleuve tranquille

Avec son premier long métrage, Hugues Hariche (re)plonge dans un univers pubère, impétueux et cruel par moment. Rivière (2023) dépeint la vie de Manon Rivière (Flavie Delangle) qui ne fut aucunement un long et paisible fleuve, mais plutôt un torrent mouvementé. Marqué par l’abandon et l’absence d’un père, ainsi que par le suicide de sa mère, cette jeune femme quitte brusquement Coire dans les Grisons afin de rejoindre Belfort, en France, dans le but d’y retrouver son géniteur. À sa surprise, elle y découvre une belle-mère, Sophie (Camille Rutherford), dépassée par son jeune enfant en bas âge, par l’absence d’un conjoint et par une entreprise d’arboriculture.

Hariche n’est pas étranger au thème de l’adolescence. En effet, le réalisateur a pu explorer ce sujet au début de sa carrière sous forme de courts-métrages. Il décide cette fois-ci d’y mêler plusieurs éléments autobiographiques, comme le hockey sur glace ou encore les villes française et suisse qu’il connaît particulièrement bien. Selon ses dires, « l’univers des jeunes adultes, ou des grands enfants, serait un terrain riche à l’expérimentation amoureuse, sociale et individuelle ». Le film propose une fresque composée de sport, de quêtes identitaires, de souffrances et d’amour et traite tous ces thèmes de façon légère, peut-être même un peu trop.

La présence des acteurs non professionnels amène une forme de fraicheur bienvenue dans le film et contraste avec le ton dur et sérieux du récit. Autre élément qui contrebalance la trame narrative, la photographie du film. Comme le dit extrêmement bien le réalisateur, ce film est avant tout atmosphérique. Le travail sur la lumière ainsi que sur la colorimétrie apporte une douceur qui apaise par moment les différentes épreuves que doivent surmonter Manon, ou Karine (Sarah Bramms). Ces deux jeunes femmes partageront par ailleurs une histoire d’amour touchante et dont les expériences de vie, bien qu’étant socialement différentes, comportent quelques ressemblances.

Toutefois, la question que peut se poser le public quant à cette mise en scène d’un amour saphique par une équipe presque uniquement masculine – à l’exception de la coscénariste – est la suivante : pourquoi choisir deux protagonistes féminines comme couple et noyau central du récit ? Visiblement, les hockeyeuses, dont certaines étaient présentes lors de la projection en avant-première à Genève, souffrent de ce cliché qui leur colle à la peau. Hariche argumente son choix comme étant « une histoire d’amour entre deux personnes plutôt qu’une histoire d’amour de genre ». Le film se veut actuel, il traite de problématiques liées au développement personnel des individus en construction. Qu’à cela ne tienne, l’amour sous toutes ses formes possède sa place dans notre monde, et de ce fait, au cinéma. Pourquoi user d’une caméra en plan rapproché qui filme des corps dénudés, féminins ? Et pourquoi avoir choisi de montrer cet amour sous cet angle de vue-là ? Le « male gaze » n’aurait-il pas encore été tout à fait déconstruit cinquante ans après sa théorisation ? Peut-être qu’une équipe plus inclusive aurait été bénéfique au film et à son interprétation. Au-delà de ça, une forme de tendresse se dégage de cet amour, qui est sûrement dû au travail des actrices Flavie Delangle et Sarah Bramms.

Le travail du son et de la musique sont aussi à saluer, car ils s’accordent parfaitement à l’ambiance « bleue » du film, et plongent encore plus le public dans une atmosphère nébuleuse et fuyante. Cette couleur qui prédomine la diégèse se déploie sous plusieurs nuances et se matérialise également dans la bande-son.

Rivière
se lit et se découvre facilement et avec légèreté. L’image emporte le public dans un fragment de la vie de Manon, aussi tumultueuse soit-elle, et propose un plaisir visuel et harmonieux.

Roxana Voinea, 29 ans

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PARA NO OLVIDAR, de Laura Gabay – Le film aux multiples sens

Partir de la mémoire comme matière, la réalisatrice, Laura Gabay, en a fait sa maxime afin de construire son premier long métrage Para no olvidar, hommage à son père qui dû fuir la dictature militaire uruguayenne en 1973. Présenté au festival FILMAR en América Latina, ce récit plonge d’emblée les spectateur.trice.s dans un univers proche et lointain à la fois.

Les vues dépaysantes d’Amérique du Sud se mêlent au contexte urbain de Genève et d’autres villes européennes. Le film introduit la figure du père, José Alejandro Gabay, comme un artiste conceptuel dont le travail repose sur le principe de mouvement. Happenings et film super8 occultent alors des préoccupations politiques et des questions sociales, comme la figure de l’exilé. L’impossibilité de s’exprimer sur les raisons de son départ pousse ce personnage à trouver d’autres modes d’expression et c’est à partir de ceux-ci que la réalisatrice tissera son récit familial et fictionnel. La reconstruction à partir d’archives familiales offre à Laura Gabay la possibilité de mêler des éléments biographiques à ses différents personnages de sa fiction.

Le public assiste à un échange épistolaire entre le père, sa sœur et ses parents, constitué non pas de mots, mais de cassettes audiovisuelles. Au même titre que son père souhaite « photographier le silence » à travers ses multiples enregistrements, Laura Gabay, elle, monte et montre le vide, le souvenir et l’absence d’un père ainsi qu’une vie passée en exil.

Le long métrage se situe entre le film de famille, le cinéma à la première (multiple) personne, entre le film politique et le hautement intime. Les images proposent par moments de douces haltes purement photogéniques, comme ces images de pêcheurs du Caravelas, que le public prendrait pour des images issues d’un documentaire, mais qui ne basculent aucunement dans un exotisme stéréotypé. La physicalité muette de l’image super8 amène également une possibilité d’expérimentation et certains plans du film jouent entre tous ces régimes, le rendant hautement riche pour le public. Vues sur le soleil, sur des oiseaux, sur des vagues dont le public ressent la matière photographique, ainsi que les nombreux plans vacillant sur une mer en mouvement mobilisent tous nos sens, de la vue, au toucher en passant par le son. Le son qui d’ailleurs, possède une trace de la technique mécanique. Le grésillement des voix nourrit cette sensation de lointain, mais ces voix semblent curieusement s’adresser à nous.

Une autre voix se laisse entendre entre chaque image, c’est celle de la réalisatrice. Ce très beau travail de voix over tisse les différentes couches du film, tout en offrant un contexte politique et personnel que le son et les images ne dévoilent pas. Film de montage, sonore et visuel, Para no olvidar (littéralement « Pour ne pas oublier ») plonge le public dans une poésie visuelle, à la matérialité palpable et aux voix qui, au fil du film, deviennent étrangement familières.

Roxana Voinea, 28 ans

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NIFFF 2023 – SHIN KAMEN RIDER de Hideaki Anno – Terrible dans le meilleur sens du terme

Le nom d’Hideaki Anno n’est peut-être pas particulièrement connu chez le grand public en Europe, mais au Japon il s’agit d’un créatif de renom. Son œuvre la plus célèbre est sans conteste la série d’animation Neon Genesis Evangelion (1995-1996), largement considérée par la critique comme un chef-d’œuvre intemporel. Plus récemment, il a cimenté son statut de créateur d’œuvres à succès avec Shin Gozilla (2016), deuxième film au box-office japonais l’année de sa sortie. Il s’agit donc ici d’un scénariste et réalisateur à grand succès dans son pays mais aussi, dans une moindre mesure, à l’international. Attaché à proposer de nouvelles versions des classiques de son enfance, c’est ce qu’il fait avec Shin Kamen Raider. D’ailleurs, son précédent projet était la réalisation d’une version modernisée d’un classique de la télévision japonaise : Shin Ultraman (2022).

Shin Kamen Raider est basé sur une série japonaise des années 70 du même nom, suivant les aventures de héros portant des armures liés à des insectes pour affronter des monstres. Au Japon, cet univers est culte et n’a jamais cessé d’abreuver les écrans : depuis 1971, pas moins de trente-deux séries et une cinquantaine de films ont été produits ! Il s’agit d’un véritable phénomène culturel au pays du soleil levant, qui repose sur des codes qui paraissent relativement étranges et peu intuitifs pour le public occidental. Le récit suit à la lettre les principes de la série d’origine, à travers l’histoire de Takeshi (Sosuke Ikematsu), un homme ordinaire enlevé et transformé contre son gré en un cyborg de sauterelle par une organisation secrète du nom de Shocker. Il est cependant sauvé par une membre rebelle de l’organisation, Ruriko (Minami Hamabe). Il va devenir le justicier Kamen Raider et affronter Shocker.

La structure du scénario semble tirée directement de celle d’une série. Les héros affrontent un ennemi après l’autre devenant de plus en plus puissants, avec des transformations animales de plus en plus étranges, tout comme le ferait une série télévisée classique avec un adversaire différent à chaque épisode. Malheureusement, un film ne s’écrit pas comme une série, et cela se ressent pleinement ici. Cette structure entraîne rapidement une grande lassitude et une prévisibilité claire de la suite de l’action. La révélation des pouvoirs du nouvel antagoniste n’est pas suffisant pour entretenir l’intérêt. Traînant sa maigre intrigue sur près de deux heures, le long-métrage tente d’apporter une profondeur émotionnelle et dramatique à son histoire et à ses personnages, avec un succès aléatoire. Si certains moments transmettent une belle sincérité et savent se montrer touchants, comme la relation entre Ruriko et son frère, resté fidèle à l’organisation maléfique, ce n’est de loin pas toujours le cas. En effet, dans le cas de la relation entre le frère et la sœur, le réalisateur parvient à rester sobre et simple, laissant les non-dits et les regards des acteurs en dire plus que leurs paroles. Malheureusement, la plupart des personnages sont bien trop caricaturaux et prévisibles pour pouvoir transmettre les émotions voulues, à la lisière même du comique.

Fait surprenant pour un film adapté d’une série pour enfants, Shin Kamen Raider recourt à une grande violence graphique à l’écran. Les combats montrent les ennemis se faire enfoncer le crâne, découper des membres et le sang est bien présent à l’écran. Cette violence extrême prête cependant à rire. De par sa mise en scène, elle rappelle un peu Kill Bill (Quentin Tarantino, 2003), mais malheureusement les combats sont loin d’être à la hauteur de ceux de Tarantino. Ils s’avèrent souvent illisibles, généralement à cause d’une caméra qui ne sait pas rester en place et des plans qui ne durent jamais plus de deux ou trois secondes. Les scènes d’action sont donc très rarement agréables à suivre, un comble pour un film vendu sur ces dernières.

Shin Kamen Raider est aussi un film qui se prend terriblement au sérieux et ne prend aucun recul sur son sujet. Si cela fait partie du charme apprécié par les adeptes du genre, cela donne un aspect nanardesque au long-métrage. Reprendre les codes d’une série à petit budget destinée aux enfants, les adapter à un blockbuster d’action violent tentant d’aborder des thèmes de philosophie existentialiste, déblatérés par un personnage portant un costume approximatif d’homme-insecte : l’exercice pouvait difficilement faire l’unanimité. Selon l’état d’esprit du spectateur, le film peut se révéler hilarant ou terriblement gênant. Si le public pour ce type de spectacle existe, il est difficile de recommander l’expérience à tout le monde.

Ludovic Solioz, 26 ans

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NIFFF 2023 – RAGING GRACE de Paris Zarcilla – L’intolérance comme véritable horreur

Le cinéma d’horreur plonge régulièrement dans les mythes et légendes anciennes des peuples du monde pour en tirer ses influences et en exploiter le potentiel horrifique. Là où ce procédé se montre le plus intéressant, c’est lorsque ce sont des descendants des peuples en question qui s’en chargent, et qui profitent de l’occasion pour aborder l’aspect social lié à l’appartenance à une ethnie dans un pays qui n’est pas le sien. C’est le cas dans Raging Grace, dont le scénariste et réalisateur, Paris Zarcilla, est d’origine philippine, élément particulièrement important dans le scénario de son film. Le récit suit la vie d’une mère immigrée des Philippines du nom de Joy (Max Eigenmann) qui vit à Londres avec sa fille, Grace (Jaeden Paige Boadilla). Elle s’occupe des ménages chez des familles aisées, et profite de leur absence pour vivre dans les maisons vides et économiser le plus d’argent possible pour espérer obtenir la nationalité britannique. Sa vie prend un tournant dramatique quand elle est engagée par une riche héritière, Katherine (Leanne Best). Elle emménage alors dans son immense manoir pour s’occuper du ménage, demeure également habitée par l’oncle mourant de son employeuse (David Haymann).

S’il est présenté comme un film d’horreur, Raging Grace donne plutôt l’impression d’une satire sociale sur le thème de l’immigration doublée d’un thriller. Dans sa vie de tous les jours, Joy est confrontée à l’ignorance, la bigoterie et le racisme. De par ses origines, ses clients ne voient en elle rien d’autre qu’une femme de ménage. Ils n’imaginent pas qu’elle a suivi des études d’infirmière dans son pays d’origine. C’est également le cas de Katherine, odieuse avec son employée et servant de caricature parfaite de l’aristocratie britannique déconnectée des réalités, insultante sans même s’en rendre compte.

L’aspect horrifique du film vient principalement de l’utilisation abondante et abusive de jump scare, pratique consistant à faire apparaître un élément visuel ou sonore brusque durant un moment de calme afin de faire sursauter le spectateur. Pratique assez paresseuse pour créer de la peur : son utilisation répétée finit davantage par taper sur les nerfs que créer une atmosphère intéressante. Dommage, surtout que dans certains moments précis, le film parvient à créer cette atmosphère anxiogène digne des bons films d’horreur. Une scène nocturne le démontre parfaitement, durant laquelle la jeune Grace suit Katherine qui, somnambule, arpente les couloirs du manoir et l’emmène dans des endroits interdits. Ces moments sont toutefois trop rares et espacés pour que le film puisse se montrer crédible en véritable film d’horreur.

Raging Grace profite d’une histoire bien écrite et d’un twist de milieu de film particulièrement efficace. Il s’avère en effet que l’oncle de Katherine, supposément endormi à cause d’une maladie grave, est en réalité empoisonné par sa nièce afin de conserver le domaine pour elle seule. Cette révélation assez attendue ne risque pas de surprendre beaucoup de spectateurs. Cependant, le scénariste a pris soin d’intégrer une deuxième couche de surprise : il s’avère que le vieil oncle est en fait un homme cruel et manipulateur, qui ne va pas perdre un instant après son réveil pour manipuler la jeune Grace et imposer sa domination sur Joy, forcée de l’appeler maître. D’ailleurs, Katherine n’est pas sa nièce d’ailleurs, mais la fille de son ex-femme qu’il a forcée à rester vivre en ce lieu, histoire atroce qui reste très en retrait et qu’il est en train de réitérer avec Grace et sa fille. Ce double retournement de situation est très bien amené, que ce soit dans la mise en scène, les dialogues et le jeu des acteurs : la révélation de la véritable personnalité du vieil homme s’avère effrayante.

Malgré une utilisation superficielle des codes du film d’horreur, ce premier film de son réalisateur parvient à faire passer son message au spectateur. Dans un monde où la plupart des immigrés n’ont pas d’autre choix que de travailler pour les membres d’une classe sociale privilégiée, au point de se retrouver réduits davantage au statut de serviteurs sous contrat que de véritables personnes libres, et de perdre ce qui faisait leur identité propre, les horreurs de la vie quotidienne dépassent largement celles qu’un film peut imaginer. Comme le dit Joy dans une très jolie tirade : « Ce n’est pas nous qui avons besoin de vous, c’est vous qui avez besoin de nous. » Le récit parvient ainsi à développer une vision intéressante de la thématique du racisme, pourtant abordée un nombre incalculable de fois au cinéma. Une narration efficace soutenue par un jeu d’acteurs plus que convaincants se chargera d’entraîner le spectateur au bout de ce récit

Ludovic Solioz, 26 ans

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NIFFF 2023- MARRY MY DEAD BODY de Cheng Wei-hao- Un mariage fantôme engage

Marry My Dead Body est une comédie surnaturelle taïwanaise réalisée par Cheng Wei-hao. Un étonnant mariage déclenche une série d’évènements absurdes et émouvants dans ce film rempli de rebondissements. Lorsqu’un policier homophobe nommé Wu Ming-han (Greg Hsu) se retrouve malgré lui lié au fantôme d’un jeune homme gay appelé Mao Mao (Austin Lin), une aventure hors du commun commence. Déterminé à se débarrasser de son partenaire surnaturel, Wu Ming-han se retrouve plongé dans une affaire de trafic de drogue. Pour mettre fin à cette situation cauchemardesque, il va devoir résoudre cette affaire et lever le voile sur la mystérieuse mort de Mao Mao.

Marry My Dead Body et truffé de jeux de mots et de blagues permettant de porter un regard plus léger sur des thématiques complexes et parfois encore tabou. Bien plus qu’une simple comédie, c’est un film engagé contre l’homophobie. Les personnages ont chacun leur vision des choses : Wu Ming-han porte un regard totalement homophobe et égoïste sur le monde, Mao Mao défend la cause LGBTQI+ et prend part à de nombreuses associations. Durant le film, le spectateur a donc le privilège de voir les personnages et leur vision des choses changer. Les deux protagonistes finissent par aller au-delà de leurs idées préconçues et finissent par devenir amis. Rappelons que Taïwan fut la première région d’Asie à légaliser le mariage pour tous et reste un symbole de défense contre les droits des LGBTQI+.

Bien que l’humour permette d’amener ces sujets de manière légère, il peut également tourner en ridicule la thématique et, à l’opposé de ce qui était voulu, accentuer les stéréotypes et les préjugés entourant l’homosexualité. En effet, le personnage de Mao Mao peut sembler un peu caricatural, adoptant des comportements et des gestes perçus comme efféminés, ce qui perpétue les clichés souvent associés à la communauté LGBTQI+. Il est vrai que certaines représentations et gestuelles peuvent être parfois stéréotypées dans les cinémas d’Asie, le japonais en particulier, lié à divers aspects culturels et sociaux. Les spectateurs occidentaux peuvent parfois s’étonner de gestes ou d’expressions exagérées… Il ne faut évidemment pas généraliser cet aspect à tous les cinémas d’Asie, mais il est possible que l’aspect caricatural de ce personnage soit dû aux codes en vigueur.

En plus de la thématique de l’homosexualité, le film permet également de porter l’attention sur le sexisme, précisément sur les difficultés que les femmes rencontrent sur leurs lieux de travail. En effet, Lin Tzu-ching (Gingle Wang), une jeune policière, doit surmonter les préjugés liés à sa beauté. Dans une scène marquante du film, Lin et Wu se retrouvent à interroger un suspect lors d’une enquête. Lin, qui est sous couverture, mène l’interrogatoire de façon efficace. Cependant, lorsque le suspect sort quelque chose de sa poche, Wu interrompt brusquement l’échange pensant que le suspect pourrait sortir une arme. Cette réaction précipitée ruine leur couverture et offre un exemple frappant de sexisme. Wu, en assumant automatiquement le rôle de protecteur – en raison du genre de Lin – fait preuve de préjugés sexistes. Il sous-entend que Lin est incapable de se protéger elle-même en raison de son statut de femme. Pourtant, le spectateur découvre au fil de l’histoire son implication et le rôle essentiel qu’elle joue au cœur de l’affaire.

Finalement, Marry My Dead Body offre au public une comédie rafraichissante et engagée abordant avec humour des thématiques complexes et actuelles. Le film de Cheng Wei-hao propose une aventure pleine d’absurdité et d’émotion, combinant humour, folklore et engagement. Marry My Dead Body offre une expérience divertissante et enrichissante.

Morgane Longo, 18 ans

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NIFFF 2023 – PEARL, de Ti West – Le slasher déjanté

Ces dernières années, la boîte de production A24 s’est fait un nom dans le milieu du cinéma indépendant, jusqu’à devenir incontournable dans toutes les discussions sur le cinéma alternatif. Leur réputation s’est faite autour de projets aux budgets modestes, mais aux ambitions démesurées, prenant des risques pour mettre en avant ces derniers. Cette stratégie porte ses fruits, et des films comme Moonlight (Barry Jenkins, 2016), Lady Bird (Greta Gerwig, 2017) ou encore le récent Everything Everywhere All at Once (Dan Kwan, Daniel Scheinert, 2022), ont permis à A24 de remporter à la fois un succès populaire et critique, ses productions raflant régulièrement de prestigieux prix notamment aux Oscars.

Pearl entre parfaitement dans la lignée des autres productions A24. Mélangeant hommage au vieil Hollywood et slasher gore déjanté, il s’agit ici d’un film qui s’amuse avec les genres, n’hésitant pas à enchaîner des références à des slashers classiques comme Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hopper, 1974) et celles totalement différentes au Magicien d’Oz (Victor Fleming, 1939), parvenant étrangement bien à les faire cohabiter. Prenant place en 1918, le récit suit le personnage de Pearl (Mia Goth), une fermière qui vit avec le rêve de devenir une star. Cependant, sa situation réelle est loin d’être celle de ses rêves. Son mari (Alistair Sewell) est au front de la Première Guerre mondiale, son père (Matthew Sunderland) est devenu infirme à cause de la grippe espagnole, et sa mère (Tandi Wright) fait preuve d’une extrême sévérité à son égard. Malgré son apparence joviale et serviable, le spectateur comprend rapidement que Pearl est une personne bien plus tourmentée qu’il n’y paraît. Au fur et à mesure que la jeune fille se sent piégée dans sa vie, les aspects tordus de sa personnalité se révèlent au grand jour.

Le personnage de Pearl est une pile de contradictions à elle seule. Son attitude enjouée semble directement inspirée du jeu d’acteur de Dorothy dans le Magicien d’Oz, tout en y ajoutant à chaque fois un twist malsain. Pour citer une séquence, Pearl fait du vélo le long d’un champ de maïs et tombe par hasard sur un épouvantail, dont l’apparence est directement inspirée de celui du film de 1939. Cependant, la jeune fille décide de le faire tomber au sol et d’imiter une torride relation sexuelle avec l’objet inanimé, avant de reprendre sa route. Cette manie de détourner des œuvres associées à des émotions positives et bon enfant est particulièrement efficace pour créer du malaise. C’est la même méthode qu’utilisait Stanley Kubrick dans Orange mécanique (1972), en associant la chanson joyeuse I’m Singing in the Rain avec une violente scène d’agression.

Pour faire fonctionner un personnage risquant de tomber dans le ridicule à chaque action, il faut une performance hors norme : c’est exactement ce que fournit Mia Goth. Elle représente à elle seule la plus grande force du film, passant d’un extrême à l’autre en un battement de cils, et offrant même dans le climax un monologue de près de dix minutes absolument poignant, terrifiant et pathétique à la fois. Cette performance élève un récit qui, malgré une gestion de la tension intéressante, ne décolle jamais véritablement. L’identité de l’assassin, en la personne de Pearl, ne fait aucun doute dès le début, et les personnages ne sortent jamais vraiment du rôle qui leur est assigné par les archétypes du genre. La surprise vient principalement de savoir quelle prochaine action folle va effectuer Pearl, et quand va-t-elle définitivement vriller.

Pearl reste tout de même un thriller bien conçu et avec un personnage principal fascinant, qui profite de nombres de scènes marquantes et de nombreuses performances de grande qualité. Que ce soit dans la pitié, la haine ou le dégoût, peu de personnages laissent indifférents, ce qui est un travers classique du slasher. Ici, c’est impuissant que le spectateur assiste à la descente aux enfers de ce personnage à la fois attachant et terrifiant, dans un spectacle qui ne manquera pas de marquer la rétine.

Ludovic Solioz, 26 ans.

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NIFFF 2023 – ACIDE de Just Philippot – Entre drame et écologie

Acide est un film franco-belge réalisé par Just Phillipot racontant l’histoire de Selma (Patience Munchenbach) et ses deux parents divorcés (Guillaume Canet et Laetitia Dosch) devant faire face à des pluies acides dévastatrices ravageant le monde. Pour survivre, cette famille déchirée doit s’unir à nouveau afin de trouver une solution à la situation.

Acide aborde un phénomène climatique des plus inquiétants de façon déprimante et cela tout le long de l’histoire. À chaque étape du récit, le spectateur comprend que la situation est de plus en plus catastrophique ce qui peut rapidement susciter le découragement. En effet, il semble impossible que les personnages survivent à ce fléau. Finalement le public perd espoir et attend simplement la prochaine catastrophe sans vraiment ressentir de l’empathie pour les protagonistes. De plus, l’écriture des personnages de l’histoire se révèle vite agaçante : le spectateur identifie assez vite qui est le « boulet » et qui seront les « sauveurs ». Les mauvais choix des personnages principaux semblent dénués de sens voire illogiques. Bien que la narration soit des plus classiques, Acide tient une formule qui fonctionne, le film est en effet un mélange de drame, d’émotion et d’une pointe d’horreur dans les scènes où la pluie fait des ravages et détruit les chairs. Un mélange qui permet de tenir en haleine le public.

Les sujets traités dans ce film font furieusement écho aux questions actuelles, autant en termes d’écologie que de politique. Le film soulève bien des questions que la société est en droit de se poser. Par exemple, lorsque les pluies acides tombent essentiellement à l’étranger, le père de Selma n’y croit pas : selon lui, ce ne sont que des bêtises déprimantes. Lorsqu’elles arrivent en France, il est cependant trop tard pour agir, il ne reste que la fuite. Une belle allégorie de la situation climatique actuelle, qui continue de compter des sceptiques alors que la situation est déjà catastrophique. Le film fait écho à la réalité sociale du moment, notamment à travers une émeute ouvrière.

Acide offre une expérience cinématographique qui suscite des émotions contrastées. Bien qu’il présente des éléments décevants, comme l’écriture des personnages, le film parvient à tenir ses spectateurs en haleine grâce à son mélange de drame et de réflexion sur les enjeux écologiques et politiques actuels.

Morgane Longo, 18 ans

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NIFFF 2023 – AUGURE de Baloji Tshiani – Sorcellerie et convention sociale

Primé lors de la 76e édition du Festival de Cannes dans la section « Un Certain Regard », le film Augure, du belgo-congolais Baloji Tshiani, aborde le sujet délicat des conventions sociales qui peuvent parfois heurter les cultures avoisinantes, tout cela sur une trame de sorcellerie et de mysticisme.

Koffi (Marc Zinga) – surnommé « celui qui porte la marque du diable » par la communauté Zabolo – revient en Afrique après quinze ans d’exil, accompagné de sa future femme, Alice (Lucie Debay), dans le but de s’acquitter de sa dot, comme le veut la tradition. Ils affronteront ensemble les préjugés de la communauté et les suspicions de sorcellerie qui planent au-dessus de leur tête.

Koffi n’incarne pas le seul sorcier du film, à ses côtés se trouvent également Paco (Marcel Otete Kabeya), un jeune homme en deuil, piégé dans une guerre des gangs, Mujila (Yves-Marina Gnahoua) et sa fille Tshala (Éliane Umuhire). Au travers de ses quatre personnages, Baloji Tshiani dépeint les mœurs et les traditions de l’Afrique de l’ouest ainsi que la superstition à laquelle les personnages sont confrontés. La sœur de Koffi, Tshala, est représentative d’une jeunesse qui cherche une émancipation au sein de l’Afrique et non une échappatoire européenne. Elle défend les droits de la femme, sa liberté de pensée et d’enfanter. C’est d’ailleurs son absence de désir d’enfant qui lui vaut d’être considérée comme une sorcière.

La mère de Tshala et Koffi, de prime abord si stricte et dénuée de sentiment, finit par ouvrir son cœur à sa fille à la mort de son mari. Dans une société patriarcale comme celle qui a cours en Afrique, les biens reviennent de droit aux frères et aux fils du défunt, alors que la femme n’a droit à rien. Mujila a tout perdu et à ce moment-là, elle décide de raconter son histoire à sa fille. Donnée en mariage au mari de sa sœur lors de la mort de cette dernière, Mujila est un personnage bouleversant qui ose enfin encourager sa fille dans son émancipation.

Les personnages féminins d’Augure sont les plus pertinents et les mieux construits. Ils posent un réel regard sur le poids des traditions, mais insistent également sur le fait qu’en tant qu’étranger il est difficile – voire impossible – de réellement comprendre les réalités d’autres cultures. La discussion entre Alice – qui est européenne – et Tshala s’avère très marquante de ce point de vue.

Augure suscite de nombreuses discussions après la projection, que ce soit sur le plan narratif ou social. Il aura droit à une sortie en salles obscures d’ici la fin de l’année, un film à ne pas manquer surtout pour l’interprétation de ses rôles féminins, riches en émotion.

Malika Brigadoi, 25 ans

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NIFFF 2023- RESTORE POINT de Robert Hloz – Avez-vous fait votre sauvegarde aujourd’hui ?

Restore Point est un film de science-fiction, plus précisément un thriller policier réalisé par Robert Hloz et produit par la République tchèque, la Slovaquie, la Pologne et la Serbie. Tout se déroule à Prague en 2041. Une nouvelle technologie nommée Restore Point permet à la population de ressusciter lorsqu’elle meurt non naturellement. Cela fonctionne à condition que la personne ait bien sauvegardé les données de son cerveau toutes les 48 heures. À travers le film, le public suit l’histoire de l’inspectrice Emma Trochinowska (Andrea Mohylová) menant une enquête sur un groupe terroriste appelé « River of Life » se rebellant contre cette nouvelle technologie.

Restore Point aborde l’avenir technologique de manière crédible, présentant diverses idées telles que les hologrammes et les voitures autonomes, déjà présents aujourd’hui, mais qui sont encore plus évolués au sein du film. Un bon moyen d’amener du réalisme et de permettre ainsi au spectateur de mieux se projeter dans un futur qu’il connait finalement déjà, ou presque. De plus, Restore Point soulève de graves problématiques déjà présentes au sein de la société actuelle. En effet, les progrès sont en pleine expansion et certains membres de la population en sont apeurés. Le progrès a toujours fait peur par les changements qu’il engendre. Ceci est d’autant plus flagrant dans la situation présentée par le film. Bien qu’étant un récit futuriste, Restore Point soulève des questions très actuelles quant à la sécurité et la fiabilité des nouvelles technologies et aux privilèges que possèdent les classes supérieures par exemple.

Ce film peut être vu comme une allégorie ou une mise en garde concernant notre relation à la technologie. Restore Point souligne aussi de grands problèmes politiques et sociaux. Dans le film, les services prodigués à tous et financés par les impôts sont sur le point de changer et d’être réservés exclusivement aux classes supérieures, créant de fortes inégalités sociétales. Dans notre société actuelle, on constate aussi que de plus en plus de services se privatisent (comme par exemple dans les transports). Un écart se creuse entre les classes sociales et la population est en droit de se demander : « A quoi aurons-nous encore le droit ? »

Finalement, Restore Point est un film de science-fiction captivant, offrant une vision crédible de l’avenir technologique, immergeant le spectateur dans un futur proche, à la fois familier et évolué. De plus, le film soulève des questions profondes sur les relations complexes entre la technologie et l’humanité. En explorant les conséquences politiques et sociales de la technologie de Restore Point, le film met en évidence les inégalités croissantes pouvant restreindre l’accès aux technologies et le danger potentiel d’un tel service.

Morgane Longo, 18 ans

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NIFFF 2023- IT LIVES INSIDE de Bishal Dutta – L’immigration à travers le prisme de l’horreur

It Lives Inside est un film d’horreur américain du réalisateur Bishal Dutta. Il raconte la vie de Samidha (Megan Suri), adolescente devant faire face à la confrontation entre sa vie en Amérique et ses origines indiennes. L’histoire débute lorsque Samidha décide de discuter avec son ancienne meilleure amie Tamira (Mohana Krishnan) qui semble s’isoler de plus en plus. Tamira finit par confier à Samidha que le pot qu’elle transporte en permanence avec elle contient un monstre démoniaque indien. Face à cette révélation, l’incompréhension et la colère de Samidha prennent le dessus et elle finit par briser le contenant, libérant ainsi le démon. Tamira est enlevée par le démon et Samidha part à sa recherche, devant affronter ses traditions.

Le film comporte une forte présence de la religion, des traditions et de la culture indienne. It Lives Inside permet de porter un regard différent sur le sujet de l’immigration et sur la vie des immigrés. En effet, bien plus qu’un film d’horreur, It Lives Inside est un récit de vie mettant en lumière le quotidien d’une fille d’immigrants voulant se libérer de ses origines et de l’aspect religieux de sa vie afin de mieux s’intégrer aux jeunes Américains de son école. En effet à l’inverse de sa mère ou de son amie Tamira, Samidha tente de cacher ses origines afin de mieux se fondre dans la société américaine et cela passe notamment par son prénom qu’elle décide d’abréger en Sam. Le film apporte une certaine visibilité sur des origines et traditions encore peu introduites dans le cinéma américain.

La tension est incroyablement bien maitrisée tout au long du film. En effet, le démon présent dans le bocal n’est révélé que tardivement, ce qui permet aux spectateurs une entière liberté d’imagination quant à son aspect. Cette manœuvre est judicieuse et permet de conserver la tension et le suspense le plus longtemps possible. En ne montrant que des ombres ou des fragments du démon, le réalisateur stimule ainsi l’imagination du spectateur, ce qui peut rendre l’expérience encore plus effrayante. Effectivement, le spectateur fait face à des nombreuses scènes où le monstre n’est que partiellement visible comme lorsque Samidha aperçoit ses yeux brillants dans son armoire ou lorsque seuls ses gestes sont perceptibles comme lorsqu’il traine par terre certains personnages par les cheveux.

De plus, il est important de noter la structure du film. En effet, l’attraction horrifique d’un film est décrite par certains théoriciens du cinéma comme un paradoxe, suscitant à la fois le désir de voir et l’effroi de ressentir. C’est en fait cette tension qui crée une ambiance particulière dans les films d’horreur. Noël Carroll s’intéresse à la manière dont le monstre apparait à l’écran. Selon lui, l’apparition entière du monstre peut être retardée au profit de légers détails permettant au spectateur d’anticiper sa venue. À l’inverse, d’autres réalisateurs optent pour des apparitions répétées du monstre, de façon brève et soudaine afin de créer la surprise et la peur. It Lives Inside est un savant mélange de ces deux paradigmes, le monstre ne se dévoilant qu’à la fin du film, mais apparaissant régulièrement dès les premières séquences par petites touches subtiles et généralement assez soudaines, faisant sursauter le public avec brio.

It Lives Inside est un film d’horreur qui aborde de manière originale la vie d’immigrés indiens en Amérique. Grâce à la tension et au suspense bien gérés tout du long, It Lives Inside offre une belle combinaison entre les thématiques de l’horreur et la recherche d’une identité culturelle.

Morgane Longo, 18 ans

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NIFFF 2023- WHITE PLASTIC SKY, de Tibor Bánóczki et Sarolta Szabó – Choisir de se sacrifier : héroïsme ou égoïsme ?

White plastic Sky est un film hongro-slovaque réalisé par Tibor Bánóczki et Sarolta Szabó. Ce long métrage post-apocalyptique traite de questions environnementales et éthiques au sein d’une population futuriste vivant en 2123. La planète est devenue stérile, dépourvue de toute vie animale ou végétale. Les citoyens vivent regroupés sous d’énormes dômes afin d’être protégés. Les ressources naturelles sont épuisées et l’humanité est maintenant devenue elle-même une ressource. En effet, un âge limite est imposé : une fois les 50 ans atteints, les citoyens se voient implanter une graine qui va peu à peu les transformer en arbres. À travers ce film, le public suit l’histoire de Stefan, dont la femme a choisi l’implantation volontaire à l’âge de 32 ans. Ne pouvant accepter ce choix, Stefan est prêt à tout pour sauver sa femme d’une transformation imminente et irréversible.

Le film est un mélange surprenant entre modèles 3D et rotoscopie – une technique de détourage d’une séquence préexistante, généralement filmée avec de réels acteurs. Le spectateur est plongé dans un univers où les deux techniques se côtoient et forment un étrange ensemble. Les paysages et objets sont représentés en 3D, ce qui fait ressortir inévitablement les personnages dessinés en rotoscopie. La 3D permet de créer un environnement et des objets avec une certaine profondeur, tandis que la rotoscopie permet d’obtenir un très grand réalisme et une grande précision dans l’animation des personnages. Ce mélange permet de créer un monde visuellement riche où les mouvements des personnages conservent leur authenticité. Cependant, cette forte différence visuelle peut également perturber : certains objets 3D semblent si réels qu’ils attirent inévitablement le regard et les personnages sont alors malheureusement relégués au second plan. Cette disparité de perception peut potentiellement altérer l’attention portée à l’histoire et déplaire à certains.

White plastic Sky aborde évidemment des thématiques écologiques importantes, notamment par ses visuels : une terre asséchée et complètement vierge de toute végétation. Des paysages qui tiennent une place très importante au sein du film, de nombreuses séquences sont des contemplations lentes de la nature sans réels dialogues. La question inévitable que pose le film concerne le travail de chacun, le sacrifice que chaque membre de la population doit faire afin de sauver la planète. Aujourd’hui déjà, il est important que tous participent à la lutte pour l’écologie. White Plastic Sky permet d’illustrer cette valeur extrêmement importante de nos jours. Jusqu’où la population est-elle prête à aller pour sauver la planète ? Est-il possible qu’elle se sacrifie totalement pour cette cause ? Au travers de cette histoire d’amour, les réalisateurs ont tenté d’atteindre le public en proposant un récit apocalyptique, écologique, mais aussi politique. En effet, Sarolta Szabó a pu dire lors d’une interview avec Scott Roxbrough à l’occasion de la projection des premières minutes du film au Festival du film de Berlin : « Focusing it on a love story was a way to reach the audience, to target the heart instead of the brain. » (« Se concentrer sur une histoire d’amour était une manière d’atteindre le public, de cibler le coeur plutôt que le cerveau »).

Avec White Plastic Sky, les réalisateurs ont réussi à faire voyager le public dans un des pires scénarii climatiques possibles.

Morgane Longo, 18 ans

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NIFFF 2023 –PROPERTY de Daniel Bandeira – Quand le dialogue est rompu

Après une première mondiale à la Berlinale, Property (2022), du Brésilien Daniel Bandeira, a voyagé jusqu’à Neuchâtel. Il raconte l’histoire de Tereza (Malu Galli), encore traumatisée par une attaque à main armée dont elle a été la victime. Elle vit recluse dans son appartement et n’en sort qu’à de très rares occasions. Son époux, Roberto (Tavinho Teixeira), lui propose de l’accompagner dans leur exploitation agricole, ne pensant pas la confronter à une révolte ouvrière. Pourtant, il n’était pas sans savoir que la ferme allait être vendue pour y construire un hôtel et que tous ses employés venaient d’apprendre leur licenciement, après une vie de bons et loyaux services. C’est ainsi que commence un huis-clos terrifiant dans une voiture blindée où Tereza s’est enfermée, refusant toute discussion face à la violence des ouvriers.

Property est un choc frontal que vit le spectateur à bord de la voiture de Tereza. Il dénonce la scission croissante entre les plus riches et les plus démunis, qui s’esquisse de manière générale dans le monde entier. La façon dont les ouvriers sont traités, du moins au moment de leur licenciement, rappelle dangereusement le passé colonialiste de certains pays. La violence qui en découle est une réponse malheureuse à de longues années d’inégalités et d’oppressions. Daniel Bandeira tente de présenter les deux points de vue dans son film, d’aller à la rencontre des deux camps et de comprendre les craintes et les souffrances de chacun. Seulement, Property tombe tout de même dans une forme de manichéisme où l’empathie du spectateur penche indéniablement du côté de Tereza. Cela demande au public un travail constant pour replacer ces actes dans un contexte plus complexe et cela rend terriblement dérangeant le message du film.

Pourquoi un film avec un caractère politique et social si appuyé tombe-t-il dans un travers si enfantin ? Peut-être que le rapport de force est tronqué : d’une part Tereza est seule contre une dizaine de personnes et d’autre part elle est enfermée dans une voiture avec très peu de ressources, tandis que ses adversaires ont tout à disposition pour l’assiéger. Même si Tereza cautionne les inégalités par son inaction, elle n’est ni partie prenante dans la vente de la ferme de son mari ni dans la gestion déplorable de ses employés. Sa passivité la rend fautive, mais le film la place malgré tout comme principale victime de la violence.

Malgré ce problème de point de vue, Property exprime à merveille la rupture entre ces deux groupes sociaux. Une scène marquera durablement le public, celle où un enfant a le malheur de se coincer la main dans la portière de la voiture lorsque Tereza, se sentant menacée, la referme brutalement. Elle ne la rouvrira pas pour libérer l’enfant, de peur que le groupe n’en profite pour l’attaquer. Il faut dire, pour sa défense, qu’ils ont déjà fait bien pire en l’enfumant, par exemple, dans son sommeil. Qui parmi les spectateurs aurait pris le risque d’ouvrir ? À ce moment-là, le dialogue – s’il a existé – est complètement rompu et aucun compromis ne peut plus être trouvé.

Property marque son public par une utilisation extrêmement bien pensée de ses décors et construit une tension qui ne cesse d’augmenter jusqu’à la fin du film. Terriblement anxiogène, le film joue avec le hors-champ, les différents cadrages et les différentes sources d’images – téléphone, vidéo surveillance… – et témoigne ainsi des conflits sociaux au Brésil.

Malika Brigadoi, 25 ans

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NIFFF 2023- THE WRATH OF BECKY de Matt Angel et Suzanne Coote – “Ne touchez pas au chien !”

The Wrath of Becky est un film d’action américain réalisé par Matt Angel et Suzanne Coote, proposant au public une suite au film Becky (Jonathan Milott et Cary Murnion, 2020). Cette nouvelle histoire se déroule deux ans après la précédente. Becky (Lulu Wilson) est maintenant âgé de 16 ans et vit paisiblement chez une gentille femme prénommée Elena (Denise Burse.) Leur vie aurait pu continuer ainsi, mais lorsqu’un groupe d’hommes appelé « Noble men » attaquent violemment Elena et kidnappent Diego (le chien de Becky) le film bascule dans une tout autre ambiance. Le public suit alors le périple de Becky, prête à tout pour retrouver Diego et se venger.

Premièrement, il est important de remarquer les forts contrastes et différences présents tout au long du film. The Wrath of Becky contient énormément de contradictions, une des plus frappantes réside sûrement dans l’ambiance générale du film. Dans ce film d’action et de vengeance particulièrement violent et gore, l’humour tient pourtant une place prédominante. Le personnage de Becky est lui aussi tout en contradiction. Jeune fille d’à peine 16 ans, vêtue de couleurs pétantes et accessoirisée à la dernière mode, elle se mue en tueuse au sang-froid et à la haine démesurée. Une apparence donc en totale opposition avec son rôle au sein du film. Ces différences et ces contradictions mettent en lumière une ambiance plus légère, teintée d’humour et permettent ainsi au film d’explorer une autre dimension.

Deuxièmement, The Wrath of Becky reprend les codes typiques des films d’action, mais se distingue par son caractère plus réaliste qu’à l’accoutumée. En effet, nombreux sont les films d’action idéalisant les capacités du héros et lui faisant réaliser des exploits très peu plausibles dans la réalité. Becky, bien qu’elle soit dotée de bonnes stratégies et idées, reste une adolescente et les réalisateurs ne l’ont pas oublié. Contrairement à d’autres films tels que les franchises John Wick ou James Bond, Becky ne tue pas ses ennemis par dizaines. Elle s’attaque à chacune de ses cibles individuellement, ce qui permet d’apporter une part de réalisme au film.

The Wrath of Becky reste un film d’action sanglant, mais qui se veut volontairement humoristique et qui permet de porter un regard plus léger sur un comportement des plus violent. Un bon mélange, donc, de sang, d’humour et d’un certain réalisme permettant aux spectateurs d’être davantage plongés dans l’histoire.

Morgane Longo, 18 ans

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NIFFF 2023 – IRATI de Paul Urkijo Alijo – La force de l’imaginaire

Le genre du médiéval fantastique, pourtant très populaire au début des années 2000 avec le succès international du Seigneur des Anneaux (Peter Jackson, 2001-2003), semble avoir petit à petit disparu des salles obscures. Si aujourd’hui il revient en force sur les services de streaming suite à l’immense succès de la série Game of Thrones (David Benioff, Daniel Weiss, 2011-2019), cette reprise ne semble pas atteindre le cinéma. Cela ne veut pas dire que le genre a entièrement disparu, des films comme Kaamelott : Volume 1 (Alexandre Astier, 2021) ou The Green Knight (David Lowery, 2022) continuent de sortir en salle, mais cela reste plus l’exception que la norme. Il s’agit en effet d’un genre difficile à mettre en images, mélangeant deux des genres les plus onéreux et compliqués, à savoir le film d’époque et le travail de reconstitution qui l’accompagne, et le film fantastique et son cortège d’effets spéciaux. D’ailleurs, dans les deux exemples cités plus haut, le fantastique n’est pas central à l’histoire. Le premier est avant tout une comédie basée sur les dialogues, et le second une introspection mystique du principe de la quête sacrée.

Irati de Paul Urkijo Alijo tente de relever ce défi avec un budget de seulement 4 millions de dollars, proposant un film avec des créatures fantastiques, des combats, de nombreux décors et de multiples personnages. L’ambition est grande et le pari réussi sur de nombreux points. Visuellement, le film parvient, au vu de son modeste budget, à accomplir des miracles. Chaque cent investi se voit à l’écran, amenant une esthétique expressionniste à la forêt que parcourent les personnages. Le travail de lumière notamment (le plus souvent naturelle, avec des feux de camp pour éclairer ses scènes de nuit) fait partie des grandes réussites du film et a dû représenter un travail conséquent. Tout ce qui accompagne la production est également à la hauteur : les visuels, les costumes, le son, la musique, le choix des espaces et leur cadrage : tout contribue à faire vivre ce monde magique.

Le scénario d’Irati plonge ses racines dans les contes et légendes basques, faisant vivre son récit au 8e siècle, dans la région des Pyrénées. Il raconte le choc entre l’ancienne mythologie païenne et le christianisme devenu dominant. Eneko (Eneko Sagardoy) revient dans la région pour prendre sa place en tant que Seigneur du Val après la mort de son père, qui avait conclu un pacte avec une ancienne divinité appelée Mari, en échange d’une aide pour vaincre l’invasion des Francs. Fervent chrétien, Eneko voit son titre menacé par le paganisme de son père. Il doit retrouver et ramener la dépouille du défunt du domaine de Mari pour qu’un enterrement chrétien puisse avoir lieu. Il demande l’aide de son amie d’enfance Irati (Edurne Azkarate), une femme profondément en phase avec le monde naturel et adepte du mysticisme ancien, qui sait où le père d’Eneko est actuellement enterré. Pour cette mission, les deux jeunes gens s’aventureront dans une étrange forêt où « tout ce qui a un nom existe ».

Le réalisateur a utilisé les souvenirs de son enfance dans la région où se passe le film pour construire son récit. Ce dernier, malgré tout ses efforts, ne parvient malheureusement pas à quitter le tracé classique d’autres œuvres du même genre. L’histoire reste efficace, mais elle devient extrêmement prévisible. De ce fait, les rôles des personnages et les relations qu’ils vont entretenir entre eux ne surprennent jamais. Ils se montrent désespérément manichéens, les méchants s’avèrent le plus souvent méchants simplement par envie de pouvoir et de richesses, leurs motivations n’allant pas vraiment plus loin que cela.

Irati est un film qui vit bien au-delà de son petit budget, et accomplit un exploit difficile, à savoir faire vivre un monde plongé dans l’imaginaire fantastique et les légendes anciennes, exploit que bien des productions disposant de moyens bien plus importants ne parviennent pas à réussir. L’amour du fantastique et de la fantasy transparait dans chaque image de ce long-métrage, pour le meilleur comme pour le pire. L’amour du genre peut justement mener à éviter de sortir des sentiers battus et mener à une histoire malheureusement peu originale. Cependant, pour tous les amoureux de la Terre du Milieu, Irati promet un voyage dans des contrées magiques auquel il est difficile de résister.

Ludovic Solioz, 26 ans

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NIFFF 2023 – DEEP SEA, de Tian Xiaopeng – Un voyage époustouflant au cœur des profondeurs

Deep Sea est un film d’animation chinois réalisé par Tian Xiaopeng, qui raconte l’histoire de Shenxiu, une jeune fille de 10 ans partie en croisière avec son père, sa belle-mère et son demi-frère. Hantée par le souvenir d’une mère absente et prise d’un sentiment d’abandon et de grande solitude, Shenxiu se retrouve propulsée dans un univers parallèle et emportée dans les profondeurs marines. Elle y découvre un restaurant nommé Deep Sea et de nombreuses créatures avec qui elle se lancera dans d’incroyables aventures afin de retrouver sa mère.

Deep Sea était une promesse d’esthétique magique et colorée, promesse que le film a amplement tenues. En effet, les couleurs apportées ainsi que les diverses techniques utilisées permettent au public un voyage total. Deep Sea propose un tourbillon de couleurs et des scènes pouvant être comparées à de véritables tableaux où les tons semblent posés directement au pinceau. Ces visuels magnifiques accompagnés de musiques envoûtantes permettent au public un véritable voyage sensoriel au milieu de cet univers océanique.

Ce film touchant permet de porter un regard neuf sur différents sujets tels que les rapports familiaux d’une famille recomposée, la peur de l’abandon ou encore une certaine forme de détresse. Durant la première partie, le film expose le contexte familial de Shenxiu. Abandonnée par sa mère, rapidement remplacée par une autre femme, la jeune fille doit faire face à un fort désintérêt de sa famille, maintenant que son demi-frère est né. Shenxiu est hantée par le souvenir d’une mère l’abandonnant et rongée par une tristesse enfouie. Les spectateurs comprennent durant le film que le monstre rouge poursuivant Shenxiu représente une partie d’elle-même, qui ne se manifeste que lorsqu’elle est triste. Cette imposante créature visqueuse presque totalement liquide et rouge peut être perçue comme une personnification même du mal-être de Shenxiu.

Le film explore d’autres thématiques telles que la sincérité et la recherche de profit, et cela passe par une valeur simple : le sourire. En effet, le sourire ne possède pas la même valeur tout au long du film. Le père de Shenxiu ne cesse de lui répéter qu’il faut sourire, que cela ne sert à rien de dépenser de l’argent pour se faire aider par un psy, car il suffit de sourire pour que tout aille mieux. Le film montre ici la valeur d’un sourire forcé, dans le simple but de faire bonne figure. À l’inverse, lorsque le sauveur de Shienxu lui raconte des blagues pour lui arracher un sourire, il tente ici de la faire sourire réellement. Cette réflexion peut aussi mettre en lumière la thématique de la recherche de profit : le sauveur de Shienxu recherche l’argent et semble prêt à tout pour atteindre ce but, mais finalement lorsqu’il est confronté à la détresse de la jeune fille il finit par l’aider. Cela soulève la question des motivations de chacun, qu’elles soient égoïstes ou non, et comment elles peuvent évoluer lorsque les personnages sont confrontés à la souffrance des autres.

La narration du film est claire, le spectateur ne se retrouve pas avec d’innombrables questions au dénouement. La fin du film offre une explication complète et permet de mettre en lumière divers détails qui auraient pu échapper au public. Cela témoigne de la capacité du réalisateur à communiquer efficacement l’histoire et les messages du film, offrant une expérience cinématographique fluide et compréhensible.

Deep Sea est un voyage dans les profondeurs océaniques accompagné de visuels époustouflants, d’une musique envoûtante et de thématiques touchantes. Ce film de Tian Xiaopeng réussit avec brio à plonger son public dans un univers sous-marin.

Morgane Longo, 18 ans

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NIFFF 2023 – THE POD GENERATION de Sophie Barthes – Plongée dans un futur aseptisé

Dans un futur proche où la société semble s’être aseptisée et où les humains se sont déconnectés du monde qui les entoure au point de ne plus oser manger de fruits cueillis d’un arbre, qu’en est-il de l’acte de procréer ? Dans The Pod Generation, la science décide d’améliorer l’expérience de la grossesse. Pourquoi devoir supporter les longs mois d’inconfort, les nausées, les complications médicales et les vergetures, quand il est possible de voir son fœtus se développer dans un œuf artificiel ? C’est la question à laquelle se retrouve confronté un jeune couple qui parait au premier abord dépareillé. Rachel (Émilia Clark) est cadre dans une grande entreprise de technologie, prête à recevoir une promotion, tandis que son mari Alvy (Chiwetel Ejiofor) est professeur de botanique particulièrement attaché aux plantes et à la nature, le faisant souvent passer, au mieux, pour un original peu compréhensible. Tous deux veulent un enfant, mais la décision de recourir à la technologie des babys pods pour enfanter les oblige à opposer leurs idées respectives concernant leur rapport à ce que la société est devenue.

La vision du futur de The Pod Generation rappelle par moments celle dépeinte dans le film Her (Spike Jonze, 2013), et parvient avec un budget plutôt modeste, à apporter une identité intéressante à cette vision du futur semblant parfois tout droit sortie d’une publicité pour un produit Apple, avec ses couleurs pastel et ses formes arrondies. Pour faire vivre un univers et le rendre crédible, il est important de le remplir de détails et d’éléments qui ne sont pas liés directement au récit. Ce sont ces éléments qui donnent l’impression que ce monde existait avant l’histoire et qu’il continuera d’exister après. The Pod Generation gère cet aspect vital de la science-fiction avec brio. Que ce soit pour les pods porteurs de bébés, les intelligences artificielles servant de psychologues, les hologrammes reproduisant l’effet de se trouver en pleine nature au milieu d’une mégalopole ou encore un bar où les habitants des villes peuvent payer pour profiter un instant de respirer de l’air pur, tous ces éléments intégrés à cette société futuriste ajoutent de l’épaisseur au message du film, qui s’intéresse avant tout à la manière dont ces technologies affectent le quotidien des habitants de ce monde.

Le film est présenté comme une comédie, et effectivement à de nombreux moments le récit montre à quel point cette société présentée comme idéale prête à rire de par le ridicule qui se dégage de certains personnages. Cependant, l’humour tourne rapidement au grincement de dents en réalisant que ces aspects qui prêtent le plus à rire sont souvent dangereusement proches d’éléments parfaitement réels. Si l’humour profite notamment des performances de qualité de ses deux acteurs principaux, un certain problème de tonalité se développe au long du récit. L’humour finit par devenir redondant et à s’émousser. Une certaine forme de platitude finit par s’installer au moment où le dilemme du couple devrait au contraire prendre de l’ampleur. Certains éléments intéressants sont injectés au long du récit, mais finissent par tomber à plat, faute d’être correctement exploités. L’idée de créer un conflit entre le couple et la compagnie produisant les pods est intéressante. En effet, si le fœtus appartient aux parents, le pod en lui-même appartient à l’entreprise (il leur est simplement loué). L’idée d’un tournant plus sombre à l’histoire est alors présentée : il devient de plus en plus clair que le bébé du couple ne leur appartient plus véritablement. Malheureusement, cet élément ne semble jamais véritablement inquiéter le duo et finit par se dissoudre assez platement dans un happy ending facile.

The Pod Generation est peut-être un peu trop long pour son propre bien. Il ne semble pas vouloir aller au fond de son propos et se condamne à rester un sympathique film de science-fiction joliment mis en images, soulevant des questions intéressantes sur un ton humoristique qui fait parfois mouche. La rupture de ton aurait pu lui permettre de s’élever et de lui permettre de regagner du souffle, mais cela lui donne plutôt un goût d’inachevé.

Ludovic Solioz, 26 ans

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NIFFF 2023 – FROM THE END OF THE WORLD de Kazuaki Kiriya – La fin du monde est-elle un mal ?

Il n’est pas particulièrement osé d’exprimer l’avis que l’adolescence est une période extrêmement mouvementée et difficile de la vie d’une personne. From The End of The World suit le cours de la vie d’une jeune adolescente du nom de Hana (Aoi Ito), qui vit au Japon dans un futur proche. À l’école, sa vie est rendue très difficile à cause des brutes qui la harcèlent, et au niveau personnel le film s’ouvre avec le décès du dernier membre de sa famille, sa grand-mère, la rendant véritablement seule au monde. Cependant, il semblerait qu’elle soit en réalité une personne unique. Elle reçoit la visite d’agents du gouvernement intéressés par ses rêves. Ceux-ci sont en effet loin d’être ordinaires, l’entraînant dans une autre époque, celle du Japon du 16e siècle, en pleine ère des Samurais. Elle y rencontre une vieille mystique (Mari Natsuki) et une jeune fille du nom de Yuki (Moi Masuda), qui lui sert de guide. Dans le monde réel, elle fait la rencontre de la réincarnation de la vieille femme de son rêve, qui lui donne pour mission d’utiliser ses rêves pour empêcher la fin du monde, prévue dans deux semaines.

Le scénario du film se montre alambiqué, la narration compliquant souvent une histoire pourtant simple et attendue, le tout étant extrêmement manichéen. Les révélations plus ou moins attendues s’enchaînent, les éléments de science-fiction s’ajoutant au fil du récit et alors que les barrières entre le monde des rêves et le monde réel disparaissent. Chaque nouvelle explication fournie par les personnages ajoute ironiquement un peu plus de confusion, malgré les bonnes idées. Le scénario propose tout de même de très jolis moments d’émotion, majoritairement portés par la performance très forte de sa comédienne principale, Aoi Ito. Celle-ci apporte une véritable puissance dans les moments forts du récit. Toutefois, avec une durée totale de 135 minutes, le film aurait gagné à condenser son récit. Malgré les révélations alambiquées, le récit demeure extrêmement linéaire, et les tentatives d’apporter de la nuance aux personnages n’enlève pas leur côté extrêmement manichéen, avec des motivations qui paraissent parfois légères pour justifier leurs actions.

Le récit développe toutefois des thématiques extrêmement intéressantes, et a une manière très particulière de lier l’enjeu externe, à savoir la fin du monde imminente, avec l’histoire personnelle de Hana et les souffrances de sa vie. La jeune adolescente a le sentiment que personne n’a jamais cru en elle et touche le fond lorsqu’elle doit se prostituer pour pouvoir subvenir à ses besoins. Au fil du film, et au fur et à mesure que des révélations arrivent, il devient de plus en plus clair que la fameuse fin du monde à éviter est moins celle du véritable monde que celle du monde d’Hana, qui ne voit plus de raisons de vivre. Cela amène à des scènes fortes en émotion et des questions intéressantes. Le monde mériterait-il d’être sauvé, dans la mesure où les catastrophes qui touchent l’humanité dans son ensemble sont généralement dues à la violence et à l’égoïsme naturel des gens ? La fin du monde serait-elle une si mauvaise chose ?

Au niveau de la réalisation, le film parvient très bien à représenter les différentes époques, tant l’époque contemporaine que l’ère samurai. Durant les séquences dans le passé, la caméra extrêmement dynamique permet de distinguer ces séquences de celles du présent, utilisant bien plus de plans fixes avec peu de mouvements de caméra. Ces choix de réalisation permettent de bien accompagner les séquences d’action au katana, et, malgré des moyens évidemment modestes, dégage une énergie très plaisante.

From The End of The World est une œuvre qui montre de belles ambitions, tant visuelles que narratives, et, même s’il ne parvient pas à toutes les concrétiser, il n’en reste pas moins un film agréable à regarder et qui parvient, tout en tissant des thématiques intéressantes qui mènent à des moments très touchants, à proposer un spectacle attractif avec des scènes d’action filmées avec un certain talent.

Ludovic Solioz, 26 ans

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NIFFF 2023 – L’animation sous toutes ses formes

Au même titre que le cinéma peut en réalité faire remonter son histoire plus tôt que la première projection en salle payante des frères Lumière, il est généralement admis que le début du cinéma d’animation peut être tracé jusqu’au 17e siècle et l’invention de la lanterne magique. La technique était alors évidemment extrêmement basique, et celle-ci va évoluer tout au long du 19e siècle notamment avec diverses machines comme le thaumatrope ou le folioscope, mais la véritable grande étape de l’histoire de l’animation est la même que pour le reste du cinéma : l’invention du cinématographe des frères Lumière en 1895.

Au cours du 20e siècle, l’animation continue de se développer, et dans les années 1930 les grands studios d’animation américains voient le jour. The Walt Disney Company crée les Silly Symphonies (1929-1939) et Mickey (1929 à aujourd’hui), tandis que Warner Bros produit les Merry Melodies (1931-1969). Les cartoons deviennent donc la norme de l’animation, et la révolution viendra en 1937 avec la sortie de Blanche-Neige et les sept nains (David Hand). S’il ne s’agit pas du premier long-métrage d’animation, c’est bel et bien lui qui aura le plus fort impact au niveau international pour le développement de cette industrie. La technique d’animation utilisée par les studios Disney n’est de loin pas la seule à exister, et par exemple la même année sort en Allemagne le film Le Roman de Renard (Ladislas Starewitch, 1937) qui utilise l’animation de marionnettes. Peu de temps après, Les Voyages de Gulliver (Max et Dave Fleischer, 1939) est réalisé avec la technique de la rotoscopie. Il est particulièrement intéressant de constater que dès le début de l’histoire du cinéma d’animation, différentes techniques ont coexisté, donnant des esthétiques extrêmement variées aux productions animées.

Impossible de parler d’animation sans parler du Japon, le pays où les mangas sont les biens d’exportations culturels principaux. Le manga et l’animation japonaise moderne voient véritablement le jour grâce à un homme, Osamu Tezuka, dans les années 1960, une période où le Japon connaît une très forte influence des Etats-Unis à la suite de la Seconde Guerre mondiale. C’est à ce moment que des dessins animés adaptés de ses mangas voient le jour comme Astro le petit robot (Tetsuwan Atomu, 1963) ou encore le film Le roi Léo (Janguru Taitei, 1965). Dans les années 1980, l’animation japonaise connaît un âge d’or à travers le monde, avec en tête de proue le studio Ghibli et son réalisateur vedette, Hayao Miyazaki (Nausicaa de la vallée du vent 1984, Princesse Mononoké 1997).

Il n’est évidemment pas le seul, et des noms comme Isao Takahata (Le tombeau des lucioles, 1988), Katsuhori Otomo (Akira, 1988), ou encore Mamoru Ishii (Ghost in the Shell, 1995) font le tour du monde. Cela il faut ajouter le succès grandissant des adaptations en séries animées des mangas les plus populaires comme Dragon Ball (Akira Toriyama, 1984-1995) et Les chevaliers du Zodiaque (Masami Kurumada, 1986-1990) ou plus tard Naruto (Masashi Kishimoto, 1999-2014) et One Piece (Eiichiro Oda, 1997 à aujourd’hui). Aujourd’hui, le marché de l’animation japonaise est au sommet, et son succès ne semble pas près de prendre fin, comme le montre le succès mondial remporté par des séries comme L’attaque des titans (Hajime Isayama, 2009-2021) ou encore de Jujutsu Kaisen (Gege Akutami, 2018 à aujourd’hui).

Une des grandes forces de l’animation tient en l’immense diversité visuelle que permet le médium. Malheureusement, l’écrasante domination des studios d’animation Disney, notamment durant la période connue comme le second âge d’or (1989-1995), mais surtout avec le début des années 2000 et la popularisation de l’animation par images de synthèse initiée par Toy Story (John Lasseter, 1995). À partir de ce moment, en tout cas sur la scène grand public, une certaine forme d’uniformisation a commencé à voir le jour. Toutes les productions des grands studios américains (Walt Disney, Pixar, DreamWorks, Sony Animation, Illuminations) possèdent alors la même esthétique et une technique d’animation similaire.

Il existe cependant un univers particulièrement riche d’animation originale et d’esthétiques variées en sortant du cadre des plus grosses productions. C’est notamment le cas en Suisse avec des productions comme Max &Co (Sam et Fred Guillaume, 2007), Ma Vie de courgette (Claude Barras, 2016) ou encore Interdit aux chiens et aux Italiens (Alain Ughetto, 2023) De plus, si l’animation domine incontestablement le marché des films destinés aux enfants, le marché des films d’animation destiné à un public adulte existe bel et bien et il regorge de pépites surprenantes. Chaque année, au NIFFF, une sélection de films d’animation sortant des normes proposées par les grands studios est proposée aux spectateurs. Pour l’édition 2023 sont notamment présents à la programmation Deep Sea (Tian Xiaopeng, 2023) qui s’annonce absolument somptueux visuellement, ou encore White Plastic Sky (Tibor Banoczki, Sarolta Szabo, 2023) dans la compétition internationale, film qui mélange prises de vue réelles et animation rotoscopique pour raconter un récit adulte sur un monde post-apocalyptique. Pour les spectateurs friands de découvertes et curieux de voir ce que le cinéma d’animation peut apporter d’original et de différent, cette édition du festival devrait pouvoir apporter de quoi les satisfaire.

Ludovic Solioz, 26 ans

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NIFFF 2023 – NAUSICAA DE LA VALLEE DU VENT de Hayao Miyazaki – Un chef-d’œuvre intemporel

Deuxième long-métrage du célèbre réalisateur Hayao Miyazaki, Nausicaa de la vallée du vent (1984) contient déjà les grands thèmes et les idées récurrentes tout au long de sa carrière. L’ampleur et le souffle épique qui plane sur cette fable écologique montre déjà le talent de conteur de Miyazaki, ainsi que son imagination débordante.

Nausicaa est une jeune fille qui vit dans un monde devenu hostile aux humains. La pollution et les guerres incessantes ont mené à un changement d’écosystème, menant à l’expansion sans fin d’une forêt dont l’oxygène est toxique et à des attaques de hordes d’insectes géants. Elle vit dans une vallée reculée et qui semble être un havre de paix, mais cela va prendre fin le jour où le vaisseau d’une autre nation s’écrase dans la vallée, portant l’embryon d’une des créatures géantes autrefois responsable de la destruction du monde, et dont les grandes puissances voisines rêvent de s’emparer. Comme dans de nombreuses œuvres de Miyazaki, la nature n’est pas ici montrée comme une victime de l’homme qui se meurt à petit feu, mais en position de force et d’agression. Elle réagit avec violence aux actions des humains qui ne savent plus vivre avec elle.

L’histoire, basée sur le manga du même nom écrit et dessiné par Hayao Miyazaki lui-même, est très bien développée. Même en partant d’un postulat désormais éculé et peu original, le film parvient toujours aujourd’hui à se montrer touchant et poignant. Il est également intéressant de regarder ce récit dans le contexte de sa création et de l’évolution de la science-fiction. Ce genre a toujours eu comme intérêt de pouvoir traiter de sujets et de peurs de son époque en utilisant un autre contexte, spatial ou post-apocalyptique par exemple, pour faire passer son message.

Dans le cas de Nausicaa, le film est sorti en 1984, soit pendant la Guerre froide, une période de l’histoire définie entre autres par la peur d’une nouvelle guerre totale et de l’annihilation par la bombe atomique. Ces deux aspects se retrouvent dans le film, surtout par la figure de ce robot géant antique, faisant partie de ces créations de l’homme ayant causé la fin du monde, mais que malgré tout les puissances militaristes du film ont envie de mettre à nouveau en service pour servir leurs intérêts, convaincus qu’ils pourront cette fois servir à sauver le monde. Cette arrogance de penser qu’ils seront meilleurs que leurs ancêtres est très représentative de l’attitude des puissances impérialistes de cette période, et montre une très bonne utilisation du genre pour faire passer un message sur le monde réel.

Pour l’époque de sa production, la qualité de l’animation de Nausicaa est impressionnante, profitant d’arrière-plans de toute beauté, et d’un travail minutieux sur les expressions faciales et corporelles. Les personnages expriment énormément sans avoir besoin de parler, et le personnage de Nausicaa brille particulièrement dans ce domaine. Toutes ses émotions sont extrêmement communicatives, et tout son caractère est brillamment transmis dans la seule première scène du film, la montrant explorer une forêt, trouver une mue d’insecte géant et finalement sauver un homme de l’attaque de l’insecte lui-même, sans pour autant le blesser. Cette idée du personnage principal affrontant l’adversité avec humanité et empathie est une thématique très forte de toute l’œuvre de Miyazaki. Un autre de ses films, Princesse Mononoke (1997), est peut-être celui qui pousse le plus loin cette idée. La phrase devenue culte de son personnage principal (« Je dois porter sur le monde un regard sans haine ») résume l’objectif qui représente le plus important de sa quête.

Nausicaa de la vallée du vent, s’il n’est pas le film le plus célèbre de son réalisateur, possède tout ce qui fait le génie de ce dernier, et représente une excellente porte d’entrée pour le spectateur néophyte désirant découvrir la filmographie de Miyazaki, ou plus largement découvrir le cinéma d’animation japonais. En plus d’offrir un récit parfaitement rythmé avec des personnages attachants et une animation très agréable, il permet d’observer une vision de la science-fiction qui pose des questions majeures de l’époque de sa création. Il permet de mieux comprendre les peurs et les espoirs d’une époque récente de l’histoire contemporaine.

Ludovic Solioz, 26 ans

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NIFFF 2023 – Le cinéma fantastique et de science-fiction, une histoire de gros sous ?

Ce n’est un secret pour personne, produire un film coûte cher. Le coût moyen des films, notamment hollywoodiens, est de plus en plus élevé, avec une moyenne oscillant désormais entre 100 et 150 millions de dollars, sans compter les coûts de marketing. Parmi tous les genres possibles, les plus coûteux sont les films de science-fiction et de fantasy. Pourquoi cela ? Ces deux genres s’accompagnent généralement d’un important travail de costumes et de décors qui souvent doivent être entièrement créés, car ils n’existent pas dans la réalité. À cela, il faut ajouter la grande place jouée par les effets spéciaux dans ces productions. Créer ces mondes où les humains voyagent dans l’espace, explorent des planètes inconnues, combattent des dragons et manipulent la magie demande énormément d’efforts et est très onéreux.

La science-fiction connaît le même destin d’augmentation massive des budgets. Le blockbuster de James Cameron Avatar : La voie de l’eau (2022) possédait un budget estimé entre 350 et 400 millions de dollars. Il s’agit là de ce que le système hollywoodien peut proposer de plus gigantesque en termes de productions à gros budget. Cela est-il la seule option pour créer de la science-fiction ? Non, il n’est pas obligatoire de faire voyager ses personnages à travers la galaxie. Pour prendre un exemple récent qui a remporté un immense succès populaire et critique, le film Everything Everywhere All at Once (Dan Kwan et Daniel Scheinert, 2022) raconte un récit ambitieux qui propose un voyage entre les dimensions, tout cela pour un budget « modeste » de 20 millions de dollars. Le résultat est sans appel : plus de 100 millions de dollars au box-office, et un véritable hold-up aux Oscars 2023 avec pas moins de 10 récompenses, dont meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario original.

Le cinéma de fantasy demande, également, de faire voyager le spectateur dans un monde imaginaire, qui se doit d’être construit de manière crédible et qu’il faut faire vivre avec de nombreuses créatures fantastiques. L’année dernière, la nouvelle série télévisée Le Seigneur des anneaux : Les anneaux de pouvoir (Patrick Mckay et John D. Payne, 2022), a bénéficié d’un budget de 465 millions de dollars uniquement pour sa saison 1, avancé par le mastodonte Amazon. Recréer un monde aussi riche que la Terre du Milieu n’est pas une mince affaire. Cependant, si la fantasy est souvent hors d’atteinte, le cinéma fantastique est un genre qui peut se montrer très accessible pour les petites productions. Sa définition est simple : il s’agit de l’intrusion de l’étrange ou du surnaturel dans le quotidien. Cela permet d’imaginer une infinité d’histoires qui ne demandent pas un budget colossal pour être racontées, tout en faisant rêver les spectateurs.

Il semblerait qu’il existe toujours aujourd’hui, dans une période où les blockbusters coûtent de plus en plus cher, une place dans le cœur des spectateurs pour des récits inventifs et originaux, mis en scène par des créateurs passionnés, exploitant le moindre dollar à leur disposition. C’est justement à ce public que s’adresse le NIFFF, un véritable terreau destiné aux mondes de l’imaginaire à petit budget. Tout au long de la semaine du festival, les salles neuchâteloises feront vivre tous ces univers, avec par exemple des films comme Irati (Paul Urkijo Alijo, 2023), From the End of the World (Kazuaki Kiriya, 2023), ou encore The Pod Generation (Sophie Barthes, 2023, photo ci-dessus).

Ludovic Solioz, 26 ans

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NIFFF 2023 – Le cinéma d’attraction doit-il être superficiel ?

Il est réducteur de penser que le cinéma n’est – par essence – voué qu’à raconter des histoires. Bien que la narration soit un de ses puissants atouts, certains genres cinématographiques se définissent par d’autres éléments que la diégèse ou les dialogues. Tandis que la musique joue un rôle central dans une comédie musicale, le monstre et surtout son apparition soudaine sont constitutifs du cinéma horrifique. Dans ces deux genres cinématographiques, l’attraction se trouve au cœur de leur définition. Le spectaculaire se placera par exemple dans un numéro de chant – qui peut ou non faire avancer le récit du film. Ce n’est pas pour autant que la narration ne dialogue pas avec l’attraction.

Durant le régime de l’attraction qui s’étend de 1890 à 1900, les films présentent une succession de numéros impressionnants, qui sont vaguement liés narrativement par un lieu, comme dans Calino, chef de gare (Jean Durand, 1912). Chaque gag burlesque peut se détacher du film sans perdre en intérêt et sans en faire perdre au film. Ce cinéma des premiers temps s’oppose au cinéma institutionnel qui se met en place à partir de 1914. La narration devient centrale, en dix-huit minutes – la durée d’une bobine standard de 300 mètres – le récit suit la structure littéraire traditionnelle avec un incipit, des péripéties et une chute. La narration, bien qu’opposée par les théoriciens du cinéma à l’attraction, n’exclut pas une dimension attractionelle. Le cinéma de narration peut être truffé d’attraction, comme dans un James Bond. De ce cas, l’attraction se trouve dans le suspense et les impressionnantes courses poursuites. C’est ainsi que persiste le spectaculaire dans le cinéma institutionnel.

Qu’en est-il de cette balance aujourd’hui, entre attraction et narration ? Si, en 2023, l’un et l’autre se côtoient sans s’écraser, l’attraction a davantage tendance à prendre le pas sur le message du film. Avec l’arrivée des enseignements moraux au cinéma, au début du vingtième siècle, l’opposition se déplace entre attraction et réflexion. Dans un film Marvel ou un Indiana Jones, l’attraction est à son climax alors que la morale de l’histoire se résume à quelques banalités sur l’humanité : le capitalisme est cruel, l’humain est individualiste, l’amour sauvera le monde… Le cinéma fantastique, horrifique ou même d’aventure, peut facilement tomber dans un enchainement d’attraction – de scènes d’action – à en oublier son message et son histoire qui passent en arrière-plan.

Pourtant ces genres cinématographiques ont tellement plus à offrir. Le merveilleux ou l’horrifique sont des portes ouvertes sur un imaginaire infini permettant d’entrer dans l’esprit des protagonistes, de découvrir leurs espoirs et cauchemars. Ce cinéma peut porter un regard sur leur quotidien, un jugement sur leur environnement et permettre au public de découvrir leur psychose. Même si les univers sont fantasmés et imaginaires, l’effet miroir fera le reste du travail et le public y retrouvera sa propre vie.

Le NIFFF 2023 propose plusieurs films qui laissent transparaitre, derrière l’attraction, de vrais messages, profonds et actuels, comme Property (Daniel Bandeira, 2022), When It Melts (Veerle Baetens, 2023) et Marry My Dead Body (Cheng Wei-hao, 2022). Tous semblent aborder des thématiques pertinentes, comme les révoltes ouvrières dues à la précarité, le harcèlement scolaire ou encore l’homophobie. D’autres semblent plus superficiels et préfèrent jouer sur le tableau du grand spectacle, comme Acide (Just Philippot, 2023), Evil Dead Rise (Lee Cronin, 2023) et Shin Kamen Rider (Anno Hideaki, 2023). Ils conservent toutefois leur présomption d’innocence et sauront peut-être surprendre le public enflammé du NIFFF.

Malika Brigadoi, 25 ans

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Visions du Réel (10) – THE BUILDING OPPOSITE (Siri Parup, 2023, Opening Scenes)

Quoi de plus cinématographique que les fenêtres d’immeubles ? Celles-ci sont déjà des cadres dans le cadre et chacune cache une nouvelle surprise, à l’image des calendriers de l’Avent. Recréant certains appartements en studio, le court-métrage de Siri Parup s’approprie le motif de la fenêtre et l’utilise pour créer une mosaïque de personnages excentriques, pourtant quotidiens. Tel le Jeff de Hitchcock dans Fenêtre sur Cour (1998) le spectateur est invité à se glisser devant les fenêtres pour observer des fragments de vies, seulement séparées par quelques murs. Des jeux se mettent en place et très vite des personnages aux vies apparemment bien différentes, se font écho.

C’est le cas par exemple d’un couple de jeunes hommes qui fait la fête dans une pièce, tandis qu’au bord de la fenêtre d’à côté, une femme d’âge mûr s’occupe de son perroquet. L’instant suivant, un des deux hommes se retrouve coiffé d’une tête de perroquet. Ces plans rapprochés qui mettent en scène une ou deux fenêtres (histoires) sont contrastés par des plans plus larges dans lequel deux étages du bâtiment et la dizaine de fenêtres qui y figurent peuvent être filmées ensemble. Les jeux se forment alors à plus grande échelle : tandis qu’une se baisse pour ramasser quelque chose, la femme de la fenêtre du dessous se baisse en même temps.

La musique joue aussi un très grand rôle dans ce court-métrage. En effet, elle peut être entendue par plusieurs résident.e.s du bâtiment, ce qui provoque des instants de partage. Par exemple, lorsque le couple d’hommes cité plus haut met la musique à fond et danse, le son se répand et la femme d’à-côté se balance au rythme de la musique avec son perroquet.

Le film réussit à produire à partir des fenêtres un aperçu honnête et humoristique de la vie d’inconnu.e.s qui partagent le même immeuble, ces éclats de lumière dans la lumière du soir deviennent des facettes d’une même communauté, même si elle était difficile à définir. Cependant, le film peine à dépasser la maîtrise visuelle et la beauté de ces micro-moments cinématographiques. En effet, si le propos porte sur la diversité des vies humaines et l’humour des hasards heureux qui lient les individus entre eux, il ne le met pas en relief ni ne le discute.

The Opposite Building est un savant jeu d’images doublé d’un scénario bien écrit, mais il lui manque peut-être un élément qui vient troubler cette harmonie (trop) parfaite. En effet, le court-métrage laisse un peu sur sa faim : ces fenêtres pourraient être significatives d’un discours plus large sur des questions sociales ou politiques par exemple. S’il s’agit de montrer la diversité des humains concentrée au sein du lieu précis qu’est un immeuble, pourquoi ne pas le faire plus franchement ? À une époque où il semble nécessaire de rappeler des valeurs telles que l’acceptation de l’autre et l’unicité au sein des sociétés humaines, le film semble se contenter de montrer de belles images, sans avoir réussi peut-être à leur donner une profondeur. Ce manque se fait sentir tandis que le générique s’affiche.

Elise Pierotti, 20 ans

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Visions du Réel (9) – FOR MOUNA (Spencer Bogaert, 2023, Opening Scenes)

Le court-métrage de Spencer Bogaert, For Mouna, est un melting-pot de techniques cinématographiques et d’idées en tous genres. Tandis que les premières séquences placent le film du côté du fantastique, la suite devient mélancolique et pensive. Un objet est au centre de multiples images : la table de ping-pong. Cet élément est tour à tour une table de jeu autour de laquelle les balles rebondissent et lévitent, un abri pour se protéger de la pluie, un promontoire sur lequel discuter et qui retrouve finalement son utilisation première, redevenant une table autour de laquelle deux vieilles femmes s’échangent des balles. Bogaert mélange les images et leurs caractéristiques propres, s’intéressant à l’iPhone, au super-8, aux images d’archives, et d’autres pour composer son court-métrage. Il filme à la main, suivant parfois les balles qui s’échangent en créant des images floues qui se transforment en impressions colorées.

Les environnements varient aussi, permettant des couleurs chaudes (Amérique du Sud) et des couleurs froides (Amérique du Nord, Europe). Mais au milieu de tous ces changements (d’image, de lieu, de personnages), le design de la table de ping-pong ne varie pas énormément. Cet élément plastique devient dès lors le lieu d’une (re)trouvaille de la caméra et du spectateur. Ce dernier peut se sentir perdu dans cette myriade d’images qui ne possède pas de sens au premier abord. Mais la récurrence d’un motif unique, celui de la table, construit si ce n’est un sens, du moins un fil directeur qui tisse les séquences entre elles. Cependant, les récurrences sont un peu maigres pour bien comprendre le court-métrage.

En effet, Bogaert se lance dans les images sans laisser la possibilité d’attraper en cours de route le sens de toutes ces scènes. Mis à part la table de ping-pong et un bracelet d’argent porté par un personnage masculin variant au cours des séquences, tout change. Ainsi, le film laisse penser que tous ces éléments composent une recherche incertaine de Mouna dans les tables de ping-pong et sur le dos de la main d’un joueur tatoué. Sans dialogues et sans explications, ce court-métrage compose avec son propre grain et sa propre intelligence un discours sensible où semblent se mêler souvenirs et fantaisies. Il s’agit de laisser son imagination créer des ponts et trouver les interstices dans lesquels glisser l’histoire du film.

Elise Pierotti, 20 ans

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Visions du Réel (8) – SONNENHOF (Tatjana Fanny Honegger, 2023, Opening Scenes)

Une femme seule devant l’entrée d’un bâtiment. Derrière elle, des chariots, type supermarché ou aéroport. Elle finit sa cigarette et rentre dans sa voiture, dans laquelle se trouve la caméra qui la filmait de l’intérieur. Ensemble, elles prennent la route, faisant défiler un paysage suisse avec ses champs et ses chalets. Tout cela dans un silence seulement dérangé par la vibration d’un téléphone auquel personne ne répond. Cette première scène permet de résumer le court-métrage de Tatjana Fanny Honegger.

En effet, ce film est composé presque uniquement de silences et de plans finement étudiés. Dijana, la femme de la première séquence, rentre chez elle après avoir déposé sa fille à l’aéroport. Elle échange deux mots avec son mari, puis range la chambre de sa fille, dorénavant vide. Puis elle clôt la fenêtre de la serre, puis le portail, puis les rideaux le jour suivant. Dijana ferme tout ce qu’elle croise, et ce geste marque un mouvement intérieur. Le long plan qui la représente faisant les draps dans l’ex-chambre de Tatjana, ensuite regarder par la fenêtre la jardinière manger une pomme, signifie la clôture que ce personnage opère sur elle-même. L’espace de la maison devient un espace silencieux et fermé. Mais cette dynamique est perturbée lorsque la jardinière, d’origine serbe tout comme le couple, les invite à venir manger chez elle.

Autour d’un repas traditionnel agrémenté de musique, Dijana est isolée, ne participant pas aux échanges autour d’elle. Ainsi le court-métrage de Honegger traite les questions de l’origine (Dijana semble vouloir renouer avec ses origines serbes) et de la maternité, directement impactée par le départ d’un enfant. Au milieu de ces questions, la maison devient un espace incertain, ni totalement ami ni ennemi pour autant et le couple une relation qui se passe à travers les murs, dans quelques phrases lancées par-ci par-là. En somme, Sonnenhof réussit à transmettre une impression de mélancolie et d’amertume douce, qui se dégage des images joliment étudiées.

Cependant, le silence, élevé au statut d’acteur, prend trop de place et empêche les autres protagonistes de prendre vie. En effet, l’impression finale est celle d’un patchwork dont les pièces sont toutes réussies, mais auxquelles il manque une étincelle pour que l’ensemble forme une œuvre saisissable et impactante. Sonnenhof, à l’image de sa protagoniste, ressemble à un mirage au loin, duquel le public n’arrive pas très bien à s’approcher.

Elise Pierotti, 20 ans

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